Lucie Laval
Textos:
Heures solitaires
a Emiliano Perneta
J’ aime, par-dessus tout, les heures
solitaires
Ou nous mettons à nu notre coeur douloureux,
Où nous versons des pleurs amers, mais
salutares,
Ayant
pour seul témoin la majesté des cieux.
Les
cris partant de l’ âme, alors, sont bien sincères;
Le
secret de chacun gisant au fond des yeux,
En
larmes se traduit, nullement mensongères,
Car il
faut, pour mentir, tout au moins être deux.
J’ aime l’heure si triste ou l’on
pleure, ou l’on souffre,
Où l’on
sent s’ouvrir, devant soi, comme un gouffre
Où sont
ensevelis l’amour et le bonheur.
L’
heure de solitude, où toutes nos misères
Disent
l’ inanité de nos folles chimères,
Est
celle où l’on n’est ni dupe trompeur.
Curitiba 16 September 1913
Jour de Pluie
Il pleut,
tout est obscur et la Mélancolie
Sous le ciel morne et gris se répand tristement,
Ayant à
ses côtés la douce Rêverie
Qui,
dans les coeurs transis, pénètre lentement.
Il pleut
et tout se tait; la foudre s’est enfuie,
L’
orage disparait, las enfin de gronder,
On
n’entend que le bruit incessant de la pluie,
Les
rires, peu à peu, cessent de s’ égrener.
Il pleut
et tout s’endort: dans le ciel les nuages,
Le
vent dans les roseaux, l’abeille loin des fleurs,
Le
regard dans les yeux, les serins dans leurs cages,
La
pensée en la tête et l’amour dans les coeurs.
Il pleut
et tout se meult: Phoebus dans les nuées,
Dans les
nids inondés, les tout petits oiseaux;
Les
insectes menus, dans les herbes foulées,
Gisent
avec les fleurs détruits par les eaux.
C’est le temps qu’il fallait à mon
âme dolente,
De gaîte fatiguée ainsi que de
soleil;
C’est
le clapotement de pluie abondante
Qui
l’oblige à sortir de son demi-sommeil.
Car,
depuis plusieurs jours, rien ne vivait en elle,
Sa Muse
paraissait avoir fui pour toujours,
Rien ne
faisait jaillir la subtile étincelle
Qui fait
chanter les pleurs et pleurer les amours.
Pour le
corps et la fleur, le Soleil est la vie,
Pour
tout ce qu’en ce monde une chaîne retient,
Mais une âme à ses feux n’est
jamais asservie:
Elle
plane en l’éther, vagabonde et revient
Elle vit
dans l’azur jusqu’au jour où la pluie
Fait
taire les rumeurs et permet de penser,
Quand,
paresseusement, près de l’âtre on s’ennuie,
Elle
revient, chantant, de rêves nous bercer.
Dans
l’ombre, le foyer fait un rouge diadème
De
tous ses feux croisés, de ses reflets brillants,
Sur le
front du Rêveur composant un poème,
Pendant
que l’eau s’abat sur les carreaux vibrants.
La
pluie est un instant de douce délivrance
Des
gens vils et pervers, sans relâche moqueurs
Pour
tous les malheureux que poursuit la souffrance,
C’est
le droit d’ être seul et de verser des pleurs.
La pluie, à l’amoureux, ménage un tête-à-tête
Avec la bien-aimée, où,sans fard ni détours,
Ils peuvent célébrer cette éternelle
fête
De
deux coeurs se disant: “Je t’aime pour toujours!”
La
pluie, en l’isolant, éloigne le poète
De
tant de bassetés entravant son essor,
Car
elle lui permet une calme retraite
Oú sa
Muse lui dit: “Souffre, mais change encor”.
La
pluie est une amie et sûre confidente
Et
j’écris, lorsqu’il pleut, ma joie ou ma douleur.
Je
l’aime, pour sa voix monotone, obsédante,
Qui,
baume bienfaisant, vient apaiser mon coeur.
Curityba
30 de Août 1913
Voix mysterieuses
Quand on est seul, bien seul, enfermé loin du monde,
Qu’aucun bruit du dehors n’arrive jusqu’à nous,
Nous reposons notre âme en une paix profonde,
Une gaîtê, céleste et beille, nous inonde
D’un espoir vague et doux
Celui qui sait comprendre, aimer la solitude
A, contre la douleur, un baume guérisseur;
En elle il se repose, en toute quiétude,
Voyant
courir de loin la folle multitude
Se riant sans
pudeur.
C’est si
bon d’être seul, plongé dans le silence,
De pouvoir méditer
et songer à loisir
Et de sentir combien est grande la distance
Séparant le rêveur de la foule en démence,
Que l’on entend frémir.
Le corps est aboli, l’âme seule subsiste,
S’élevant au-dessus de toute iniquité;
Il semble que plus rien, autour de nous, n’existe
Et tout notre bonheur, en ces moments, consiste
A fuir
l’humanité.
Seuls, nous
pouvons encore avoir cette espérance
Que le monde
et les gens, plus tard, seront meilleurs
Et qu’en un
jour prochain nous verrons la souffrance
Rendre, en
les émouvant, par sa saine influence,
Moins méchant
bien des coeurs.
La rancune fait place à l’oubli de tout mal,
Au plaisir d’être bon et large on s’abandonne
Et, de monter si haut, doucemente on frissonne,
En un rêve idéal.
On prend entre ses mains un livre, on le feuillette,
Puis l’on
songe, serein, à ceux qui ne sont plus;
Alors, nous entendons comme une voix secrète,
Qui revient nous parler tristement, en cachette,
De nos bonheurs perdus.
On écoute, anxieux: des voix mystérieuses
Accourent,
pour répondre à la première voix;
Elles forment un choeur, les unes, très joyeuses,
Nous font sourire et puis d’autres, très
douloureuses,
Nous font pleurer parfois,
Car, si l’une murmure un mot qui nous enivre,
De l’autre les accents nous blessent en plein coeur,
Nous disant: “Ici- bas, on ne peut plus revivre
“Les doux moments passés et c’est vain de
poursuivre
“Un mirage trompeur”.
Et chacune est l’écho d’une voix bien connue,
Qui
ressuscite ainsi du gouffre du passé;
Cette voix,
qu’autrefois nous avons entendue,
En nous
parlant répand, dans notre âme éperdue,
Un
long frisson glacé.
Et nous, silencieux, écoutons immobiles,
En craignant de les voir bientôt s’evanouir;
Leurs timbres alanguis, tremblants et juvéniles,
Se répercutent tous, racontant nos idylles
Qui ne peuvent vieillir.
Dominant ce concert, une voix triste et belle,
Comme un funèbre glas, nous dit: “Il est trop
tard.”
Et des pleurs aussitôt mouillent notre prunelle.
Rallumant de l’amour la si vive étincelle.
Qui blesse comme un dard.
C’est la voix pour toujours ardemment bien-aimée
D’un être qui partit, en laissant notre coeur
Blessé mortellement, notre âme inanimée,
De tristes souvenirs déchirée, opprimée,
Par le poids di malheur.
Mais, cette
voix chérie, ah! nous aimons quand même
Et les autres déjà ne nous émeuvent plus,
Elle seule est pour nous d’une beauté suprême,
Car nous nous
souvenons du terrible poème
De
ces temps révolus.
Oui, de l’isolement la douceur bienfaisante
Est un vaste repos, sur le chemin de croix
Que nous parcourons tous; la sinistre épouvante
S’enfuit, lorsqu’on entend surgir de la tourmente
Tant d’emouvantes voix.
Curityba Août 1913.
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